Ayman al-Zawahiri, le dirigeant d’Al-Qaïda, appelle les forces jihadistes luttant contre le régime syrien à s’unir dans une lutte commune afin d’ériger un califat islamique


Le dirigeant d'Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri
Le dirigeant d'Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri (www.connectionivoirienne.net, 11 octobre 2013)

Aperçu général

1.   Cheikh Ayman al-Zawahiri, le dirigeant d'Al-Qaïda, a publié le 11 octobre 2013 un nouveau discours enregistré diffusé sur des sites Internet islamiques. Dans son allocution, Al-Zawahiri a fait référence aux événements du Proche-Orient, notamment en Syrie et en Egypte. Au sujet de la question syrienne, Al-Zawahiri a appelé les forces islamiques du pays à s'unir pour lutter contre le régime syrien et à cesser de collaborer avec les forces laïques. Il semble que dans ses propos, Al-Zawahiri fasse référence au conflit entre l'Etat islamique en Irak et dans la Grande Syrie (la branche syrienne d'Al-Qaïda en Irak, ci-après l'Etat islamique) et le Front Al-Nusra (la branche d'Al-Qaïda en Syrie, directement dépendante d'Ayman Al-Zawahiri) et appelle les deux organisations à mettre un terme à leurs différends (au sujet de la scission entre les deux groupes, voir Annexe).

2.   Selon Al-Zawahiri, tous les musulmans doivent s'unir pour faire tomber le régime syrien et instaurer en territoire syrien un Etat islamique "combattant du jihad". Ceci, selon lui, ouvrira la voie à la restauration des califats islamiques et à la "libération de Jérusalem". Ci-après un extrait de ses propos :

a.    "J'exhorte mes frères, les combattants du jihad dans la Grande Syrie, à s'unir et à s'unifier et à accepter que soit bientôt créé dans la Grande Syrie, si Allah le veut, un Etat islamique gouverné par la charia [la loi islamique]".

b.    "Les lions de l'islam dans la Grande Syrie se sont unis pour cette noble cause et ont surpassé les divisions entre les différentes organisations et les groupes scindés, et,dans un accord mutuel et avec de la bonne volonté, ont établi un Etat islamique fort".

c.    "Nos frères en Syrie du jihad et de ribat[1] [frontière], gardez-vous d'arriver à un compromis avec les laïcs, avec ceux qui demandent à ressembler aux Américains et aux athéistes, aux dépends du régime de la charia et des lois de l'islam".

3.   Sur le terrain, les rapports se poursuivent au sujet d'expressions de violence et de cruauté de la part des organisations affiliées à Al-Qaïda. Le 11 octobre 2013, l'organisation Human Right Watch a publié un rapport accusant les rebelles islamiques de Syrie, dont des membres du Front Al-Nusra et de l'Etat islamique en Irak et dans la Grande Syrie, d'avoir exécuté des civils innocents et d'avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité contre des femmes, des enfants et des personnes âgées d'origine alaouite dans les combats dans la région rurale de Lattaquié. Selon le rapport, durant une attaque le 4 août 2013, au moins 190 civils ont été tués, dont au moins 67 ont été exécutés. Par ailleurs, plus de deux cents civils ont été pris en otages (Site Internet de l'organisation, 11 octobre 2013).

Evaluation

4.   Des dissensions de longue date opposent le Front Al-Nusra à l'Etat islamique, l'apogée ayant été la reconnaissance par Ayman Al-Zawahiri (Juin 2013) du Front Al-Nusra comme représentant indépendant d'Al-Qaïda en Syrie, non subordonné à sa filiale en Irak. La décision d'Al-Zawahiri n'a pas réglé le différend mais l'a envenimé et a provoqué une scission entre les deux organisations. Cette scission s'est exprimée par l'établissement de deux organisations, le Front Al-Nusra et l'Etat islamique, possédant des cadres militaires, logistiques et de propagande distincts. La scission entre les deux a été suivie de plusieurs incidents violents sur le terrain.

5.   Selon nous, il est peu probable que l'appel public d'Al-Zawahiri mettre un terme aux divisions entre les deux branches d'Al-Qaïda, le Front Al-Nusra et l'Etat islamique. Cependant, il pourrait, au moins à long terme, apaiser les tensions et la compétition entre elles et conduire à plus de collaboration contre le régime syrien, l'ennemi commun. Par contre,l'avertissement d'Al-Zawahiri contre la collaboration avec les organisations laïques et pro-américaines pourrait envenimer l'hostilitéfondamentale existant entre le Front Al-Nusra et l'Etat islamique en Irak et dans la Grande Syrie d'une part et l'armée syrienne libre, le réseau représentant la plupart des groupes rebelles en Syrie, d'autre part.

Annexe
Division entre les branches d'Al-Qaïda en Syrie et en Irak[2]

1.Les branches irakienne et syrienne d'Al-Qaïda en Syrie sont divisées et opèrent de manière concurrente voire hostile. Le Front Al-Nusra a été établi et géré en Syrie par la branche irakienne d'Al-Qaïda. Au départ, il semblait que son dirigeant, Abu Muhammad al-Julani, recevait ses ordres du dirigeant de l'Etat islamique en Irak et dans la Grande Syrie Abu Bakr al-Baghdadi, qui contrôlait de fait le Front Al-Nusra. Plus tard, apparemment en raison de différends entre les dirigeants des organisations, le 9 avril 2013, Abu Bakr al-Baghdadi a publié une cassette audio annonçant l'unification des organisations en Irak et en Syrie sous l'appellation l'Etat islamique en Irak et dans la Grande Syrie (Youtube.com).

2. Cependant, un jour seulement après l'annonce d'Al-Baghdadi (10 avril 2013), Abu Muhammad al-Julani, le responsable de la branche d'Al-Qaïda en Syrie, a prêté allégeance à Ayman al-Zawahiri, le chef d'Al-Qaïda. Al-Zawahiri, qui a été forcé de prendre position face à la lutte de pouvoir entre les deux branches, a annoncéle 10 juin 2013 l'annulation de l'union entre le Front Al-Nusra et la branche d'Al-Qaïda en Irak. Dans une lettre envoyée aux membres du Front Al-Nusra en Syrie, Al-Zawahiri a déclaré qu'Abu Bakr al-Baghdadi avait tort quand il a déclaré l'union "sans notre approbation, sans nous avoir consulté, et sans nous en avoir informé". En conséquence, Al-Zawahiri a appelé les deux branches à "coopérer et à cesser toute attaque verbale ou physique" (An-Nahar, 10 juin 2013, citant une lettre obtenue par Al-Jazzera de "sources fiables" en Syrie).

3.Dansla lettre envoyée au Front Al-Nusra, Al-Zawahiri a reconnu l'organisation comme étant la branche d'Al-Qaïda en Syrie, non subordonnée à la branche irakienne, et a donc tranché entre les deux. Cependant, au lieu de régler le différend, sa décision n'a fait que compliquer les divergences d'opinion entre les partisans d'Al-Julani et ceux d'Al-Baghdadi, les amenant à l'affaiblissement et à la division (au moins temporairement). Ces différences posent également un défi à Al-Zawahiri, car la direction de la branche d'Al-Qaïda en Irak, sous les ordres d'Abu Bakr al-Baghdadi, a publiquement refusé d'obéir au commandement d'Al-Zawahiri. Abu Bakr al-Baghdadi a rejeté la décision d'Al-Zawahiri, a émis des doutes sur son authenticité, et a insisté sur le fait que l'Etat islamique en Irak et dans la Grande Syrie devrait continuer à exister en tant qu'entité politique autonome qui reflète les efforts conjoints du jihad en Irak et en Syrie.[3]

4. Un autre défi posé à Ayman al-Zawahiri est la déclaration faite par AbuMuhammad al-Adnani al-Shami, le porte-parole officiel de l'Etat islamique en Irak. Dans la déclaration, publiée sur Youtube le 19 juin 2013, Al-Adnani a exprimé son mécontentement à l'égard de la décision d'Al-Zawahiri d'annuler l'union entre les deux branches d'Al-Qaïda et a déclaré quela branche d'Al-Qaïda en Irak était déterminée à continuer d'agir en Syrie aux côtés du Front Al-Nusra. Al-Adnani a poursuivi en disant que la division instaurée entre les guerriers du jihad en Syrie à la suite des remarques d'al-Zawahirinuisait à l'unité et à la camaraderie des guerriers du jihad, car certains d'entre eux sont repartis en Irak, certains sont restés chez eux pour éviter une guerre civile, et certains ont rejoint d'autres groupes rebelles. Pour le moment, il semble que le choc initial a été résolu et que les deux branches d'Al-Qaïda se présentent comme des organisations indépendantes dans le théâtre d'opération syrien.

5.Abu Muhammad al-Adnani a ensuite donné une explicationidéologique au refus de la branche irakienne d'Al-Qaïda de suivre les instructions d'Al-Zawahiri. Il a dit que l'islam ne reconnaît pasles frontières artificielles fixées parl'accord Sykes-Picot (1916). En conséquence, la division en deux de l'Etat islamique en Irak et dans la Grande Syrie "contredit notre conception et notre foi". Al-Adnani a conclu en disant : "Personne ne nous empêchera d'aider nos frères en Syrie, de lutter contre les Nusayris [cf., les Alaouites], et de mener le jihad ; personne ne nous empêchera de rester en Syrie. Les terresde Syrie et d'Irak resteront une scène, un front aux limites inséparables" (Youtube, 19 juin 2013).

[1]Le terme ribat fait référence aux avant-postes de l'islam dans les frontières où les musulmans sont appelés à lutter contre leurs ennemis.
[2]Voir notre article du 17 septembre 2013 intitulé : "Le Front al-Nusra ("Jabhat Al-Nusra") est un réseau jihadiste salafiste d'Al-Qaïda qui occupe une place centrale au sein des groupes rebelles en Syrie", à l'adresse http://www.terrorism-info.org.il/fr/article/20573
[3]Voir l'article d'Aymenn Jawad al-Tamimi dans Syria Comment (13 juillet 2013) : “Where Does Jabhat al-Nusra End, and the Islamic State of Iraq and ash-Sham Begins? (hereinafter: Syria Comment, July 13, 2013). Voir également le rapport de MEMRI no. 983, 18 juin 2013 : “Jabhat Al-Nusra and Al-Qaeda in Iraq Squabble Over Leadership of Jihad In Syria”.