Le phénomène des volontaires étrangers du monde arabe qui luttent contre le régime syrien, la plupart dans les rangs des organisations proches d’Al-Qaïda et du jihad mondial


Un groupe de combattants d'Afrique du Nord photographiés dans la région de Lattaquié (Magharebia.com, 5 septembre 2013)
Un groupe de combattants d'Afrique du Nord photographiés dans la région de Lattaquié (Magharebia.com, 5 septembre 2013)

Aperçu général [1]

1.  Cette étude examine le phénomène des volontaires étrangers du monde arabe dans les rangs des rebelles en Syrie. Selon notre estimation, il y a plus de 5 000 combattants étrangers du monde arabe parmi les 7000-8000 volontaires qui ont rejoint les rangs des rebelles syriens.[2] La plupart d'entre eux appartiennent au Front Al-Nusra et à l'Etat islamique en Irak et dans la grande Syrie (ci-après "l'Etat islamique"), deux organisations rivales affiliées à Al-Qaïda et au jihad mondial. Une minorité de combattants étrangers arabes a rejoint les rangs de l'Armée syrienne libre et d'autres organisations rebelles.

 
2. Certains des combattants étrangers arabes sont jeunes et n'ont aucune formation ou expérience militaire. Ils ont rejoint les rangs des rebelles pour des raisons idéologiques ou religieuses (pour participer au jihad et lutter contre les chiites). D'autres ont été motivés par le désir d'améliorer leur statut socio-économique. Parmi les autres raisons figurent l'hostilité au régime Assad, le désir d'aventure et l'identification à la souffrance du peuple syrien. Parmi les combattants étrangers arabes figure un noyau dur de salafistes jihadistes et d'activistes d'Al-Qaïda et du jihad mondial, certains d'entre eux étant des vétérans des combats en Afghanistan, en Irak, en Libye et d'autres zones de combat islamiques. La plupart des combattants étrangers arabes viennent de villes périphériques et seul un petit nombre sont issus de grandes villes.

3.Selon nous, les volontaires arabes forment le "noyau dur " des rangs du Front Al-Nusra et de l'Etat islamique. Leur présence est également significative au niveau des pertes. En outre, parmi les terroristes ayant commis des attentats suicide en Syrie pour le compte d'organisations affiliées à Al-Qaïda et au jihad mondial, le nombre de volontaires arabes est remarquable, en particulier ceux d'Arabie Saoudite.[3]

4. Parmi les pays arabes d'où sont originaires le plus grand nombre de volontaires étrangers figurent la Tunisie, la Libye et l'Egypte, trois pays qui ont connu un bouleversement régional. Deux autres pays, l'Arabie Saoudite et la Jordanie, sont pro-occidentaux avec des éléments islamiques radicaux profondément enracinés. Initialement, ces cinq pays n'ont pas cherché à endiguer le flot de leurs citoyens partant pour la Syrie, les considérant comme une partie de leur soutien à la campagne pour renverser le régime d'Assad et affronter l'Iran et l'Islam chiite. C'est seulement au cours de la dernière année, quand les dangers du terrorisme et de la subversion des "vétérans" de Syrie sont apparus à leur retour dans leur pays d'origine, que certains régimes arabes ont pris des mesures préventives, soit en adoptant des mesures législatives (Arabie Saoudite, par exemple), en empêchant les volontaires de s'envoler pour la Syrie, en contrôlant ceux qui sont revenus, et en faisant face aux organisations radicales locales qui leur fournissent un soutien logistique. Cependant, il n'est pas encore clair à quel degré les mesures prises ont été efficaces.

5. Certains des volontaires étrangers ont rejoint les combats en Syrie sur une base individuelle. Cependant, dans certains cas, des organisations ou des activistes locaux à caractère salafiste jihadiste, incitant à rejoindre les combats, apportent un soutien logistique aux volontaires et les envoient en Syrie. Dans ce cadre, il convient de souligner, par exemple, Ansar al-Sharia en Tunisie, Ansar al-Sharia et Ansar Bayt al-Maqdis en Egypte, Jam'iyya al-Asala al-Islamiyya à Bahreïn, Fatah al-Islam au Liban, le mouvement salafiste en Jordanie, Jaish al-Ummah et d'autres organisations jihadistes salafistes dans la bande de Gaza.

6. Les volontaires étrangers arabes dans les rangs du Front Al-Nusra et d'autres organisations jihadistes sont une bombe à retardement pour leur pays d'origine, en particulier pour des pays comme l'Arabie Saoudite, l'Egypte, la Jordanie, la Libye, l'Irak et les pays du Golfe Persique. En effet, en Syrie, ces volontaires acquièrent une expérience opérationnelle et des compétences de combat, y suivent un processus jihadiste et de radicalisation islamique et tissent un réseau de contacts avec des organisations et des activistes salafistes jihadistes dans le monde arabo-musulman. Ils sont censés retourner dans leur pays d'origine (comme certains d'entre eux l'ont déjà fait), y rejoindre les réseaux salafistes jihadistes locaux ou établir de nouveaux réseaux de terrorisme et de subversion. Dans certains cas, selon nous, ces réseaux fonctionnent en coordination ou selon les ordres du Front Al-Nusra et de l'Etat islamique via les contacts établis en Syrie.


7. Cependant, selon nous, le rôle de ces "vétérans" de Syrie dans le terrorisme et la subversion dans les différents pays arabes est encore balbutiant. Certains cas donnent toutefois une indication de ce qui pourrait advenir : en Egypte, des "vétérans" de Syrie ont été arrêtés pour leur implication dans des activités terroristes contre le régime égyptien ou ont été tués lors d'une attaque terroriste menée parAnsar Bayt al-Maqdis (organisation affiliée au jihad mondial). En Mai 2014, le ministère saoudien de l'Intérieur a annoncé le démantèlement d'un réseau terroriste qui était en contact avec des extrémistes en Syrie et au Yémen. En Jordanie, l'Etat islamique a organisé des manifestations et des émeutes à Ma'an, un foyer d'activités anti-régime. En Israël, deux Arabes israéliens ont reçu l'ordre d'organisations jihadistes de mener des attaques terroristes en territoire israélien après leur retour de Syrie. En outre, en Décembre 2013, un réseau jihadiste a été démantelé à Jérusalem Est après avoir tenté d'envoyer un de ses membres en Syrie pour y suivre une formation militaire et coordonner des attaques terroristes. En Irak, l'Etat islamique, proche du jihad mondial, organise des activités militaro-terroristes et subversives transnationales. L'organisation ne fait pas de distinction entre l'Irak et la Syrie et ses activités devraient s'étendre à d'autres pays arabes, comme la Jordanie par exemple.

Estimation des volontaires du monde arabe

8. Les pays d'origine des volontaires arabes peuvent être divisés en quatre catégories, en fonction du nombre de combattants :

a. Libye, Tunisie, Jordanie, Arabie saoudite – Selon les estimations, entre plusieurs centaines et environ un millier de volontaires sont partis de chacun de ces pays.

b. Egypte et Irak – Plusieurs centaines de volontaires.

c. Maroc, Algérie, Bahreïn, Koweït, Liban, bande de Gaza, Qatar, Mauritanie et Somalie – Plusieurs dizaines de volontaires.

d.Soudan, Yémen et Oman – Quelques volontaires de chaque pays[4].

 

Notes

Nombre de volontaires

Pays

Numéro

Des combattants étrangers non-libyens ayant combattu dans la révolution contre Mouammar Kadhafi ont rejoint les combats en Syrie

Entre plusieurs centaines et près de 1000

Libye

1

 

 

Plusieurs dizaines

Maroc

2

Une partie ont lutté en Libye dans la révolution contre Kadhafi

Plus de 1000

Tunisie

3

 

Plusieurs dizaines

Algérie

4

 

Cas isolés

Mauritanie

5

 

Plusieurs dizaines

Egypte

6

 

Près de 1000

Arabie Saoudite

7

 

Plusieurs dizaines

Bahreïn

8

 

Plusieurs dizaines

Koweït

9

 

Cas isolés

Qatar

10

Principalement des Libanais sunnites et des Libanais d'origine palestinienne

Plusieurs dizaines

Liban

11

 

Plusieurs centaines

Irak

12

 

Plus de 1000

Jordanie

13

 

Cas isolés

Somalie

14

 

Une trentaine

Bande de Gaza[5]

15

 

Cas isolés

Autorité Palestinienne

16

 
 

[1]L'étude est disponible dans sa totalité en anglais à l'adresse http://www.terrorism-info.org.il/en/article/20646
[2]Il existe des estimations plus élevées du nombre total de volontaires étrangers en Syrie. Par exemple, en Décembre 2013, le Centre international britannique d'étude de la radicalisation (ICSR) a estimé qu'il y avait 11 000 combattants étrangers en Syrie issus de 74 pays, dont 2800 des pays occidentaux et le reste du Moyen-Orient (Icsr.info).
[3]En 2013, le Centre Meir Amit a comptabilisé 53 terroristes suicide du Front Al-Nusra et de l'Etat islamique ayant commis des attentats suicide contre des cibles liées au régime syrien. Les noms de 30 ont été identifiés, 23 combattants étrangers et sept Syriens. Sur les 23 étrangers, 13 étaient des Saoudiens, quatre des Jordaniens et trois des Irakiens. Pour de plus amples informations, voir notre article du 11 février 2014 intitulé : "L'utilisation de terroristes suicide : principal modus operandi du Front Al-Nusra et de l'Etat islamique contre le régime syrien et le Hezbollah au Liban", à l'adressehttp://www.terrorism-info.org.il/fr/article/20618
[4]Les estimations de cette étude portent sur le nombre total de combattants étrangers de chaque pays en fonction de catégories qui ne peuvent pas toujours être distinguées : combattants arabes qui luttent encore en Syrie (la majorité), ceux qui sont retournés dans leur pays d'origine (la minorité), et ceux qui ont été tués dans les combats en Syrie ou qui ont été pris en otage par le régime syrien.
[5]Une étude sur les combattants étrangers arabes palestiniens et israéliens a été publiée le 19 janvier 2014. Les Arabes israéliens et les Palestiniens de la bande de Gaza et de l'Autorité Palestinienne ne sont donc pas inclus dans cette étude.