Le Jihad Islamique Palestinien (JIP) a réussi à deux reprises à obtenir la libération de ses détenus administratifs emprisonnés en Israël par de longues grèves de la faim accompagnées de menaces d’atteinte à l’accalmie dans la bande de Gaza


Photo diffusée par les Brigades de Jérusalem, la branche armée du JIP, montrant le détenu administratif Muhammad Allan, terroriste du JIP qui a entamé une grève de la faim de longue durée. En arabe on peut lire : "Le prisonnier combattant du jihad Muhammad Allan, en grève de la faim depuis le 6 juin 2015" (Page Facebook de la fondation Muhjat al-Quds dans la bande de Gaza, 19 août 2015)
Photo diffusée par les Brigades de Jérusalem, la branche armée du JIP, montrant le détenu administratif Muhammad Allan, terroriste du JIP qui a entamé une grève de la faim de longue durée. En arabe on peut lire : "Le prisonnier combattant du jihad Muhammad Allan, en grève de la faim depuis le 6 juin 2015" (Page Facebook de la fondation Muhjat al-Quds dans la bande de Gaza, 19 août 2015)

Aperçu général

1. Au cours des derniers mois, deux terroristes du JIP de Samarie, Muhammad Allan et Khader Adnan, ont entamé une grève de la faim de longue durée afin de forcer Israël à les libérer de détention administrative. Leur objectif global était de faire pression Israël afin de l'inciter à abandonner l'utilisation de la détention administrative, un outil important dans sa guerre contre le terrorisme.

2. Dans deux cas, le JIP a menacé de mettre fin à l'accalmie dans la bande de Gaza, par le biais de tirs de roquettes, en cas de mort des détenus administratifs en grève de la faim. Dans les deux cas, Israël a mis fin à la détention lorsque les grèves de la faim ont atteint un seuil critique et que la vie des détenus était en danger. Dans les deux cas, la fin de la détention administrative a été perçue par le JIP comme une "victoire" et les menaces ont été considérées comme ayant forcé Israël à se plier aux revendications des grévistes de la faim. La "victoire" a également renforcé le prestige du JIP dans l'arène palestinienne.

3. Selon nous, le JIP a intérêt à poursuivre l'accalmie dans la bande de Gaza sans remettre en cause la politique du Hamas. Cependant, le JIP est plus belliqueux que le Hamas et ne partage pas les considérations de gouvernance qui restreignent ce dernier, etsa volonté de maintenir l'accalmie est ainsi moins rigide que celle du Hamas. L'utilisation de l'accalmie comme une monnaie d'échange pour promouvoir ses intérêts est, selon nous, un exemple de la stratégie de la corde raide du JIP, chargée d'un potentiel de détérioration future.

La grève de la faim de Muhammad Allan

4. Muhammad Allan était un détenu administratif du JIP de la région de Naplouse. Il a demandé à être libéré et a observé une grève de la faim de 65 jours. Le 14 août 2015, après 59 jours de grève, il a perdu conscience, mettant sa vie en danger. Suite au déclin de son état, et de crainte que la poursuite de la grève de la faim ne cause des dommages irréversibles à son cerveau, la Cour suprême israélienne a temporairement suspendu sa détention administrative. Suite à la décision de la Cour suprême, il a mis fin à la grève et a semblé récupérer.

5. Le 14 août 2015, alors que son état se détériorait, les Brigades de Jérusalem (la branche armée du JIP) ont publié un communiqué menaçant Israël, disant que les Brigades de Jérusalem [dans la bande de Gaza] annonçaient qu'en "cas de mort du détenu administratif Muhammad Allan, elles réagiraient avec force et mettraient fin à leur engagement à l'accalmie" (Site Internet des Brigades de Jérusalem, 14 août 2015).

L'annonce des Brigades de Jérusalem menaçant Israël de mettre fin à l'accalmie dans la bande de Gaza (Site Internet des Brigades de Jérusalem, 14 août 2015)
L'annonce des Brigades de Jérusalem menaçant Israël de mettre fin à l'accalmie dans la bande de Gaza (Site Internet des Brigades de Jérusalem, 14 août 2015)

6. Suite à la détérioration de la santé de Muhammad Allan et aux menaces du JIP, l'armée de l'air israélienne a déployé des systèmes de défense aérienne Dôme de Fer à Ashdod et Beersheba. Le déploiement a résulté de la crainte que le JIP mette ses menaces à exécution et tire des roquettes en territoire israélien. Cependant, la tension dans le Sud d'Israël a pris fin quelques jours plus tard avec la suspension temporaire de la détention administrative et la fin de la grève de la faim d'Allan.

7. Ramadan Abdullah Shallah, le secrétaire général du JIP, a affirmé par la suite que si Muhammad Allan ou Khader Adnan avaient trouvé la mort, le "JIP aurait répondu." Il a affirmé que "l'ennemi a vu les étapes [prises] et a compris que nous étions sérieux". Il a ajouté que l'accalmie n'était pas sacrée, et que "si l'ennemi joue avec la vie du peuple palestinien, nous profanerons la trêve". Il a ajouté que les Brigades Izz al-Din al-Qassam [la branche armée du Hamas] n'avaient aucune objection aux tirs de roquettes [par le JIP]. Toutefois, selon lui, les Brigades Izz al-Din al-Qassam auraient demandé à être préalablement informées afin de prendre des précautions [contre une réponse israélienne]. Ramadan Shallah a également affirmé que le JIP considère l'accord de trêve [signé] au Caire comme une étape temporaire visant à soulager les souffrances du peuple palestinien. Il a ajouté que le JIP n'a "aucun problème" à discuter de la façon d'établir l'accalmie, mais, a-t-il dit, "l'accalmie est pas sacrée" (Almayadeen, 28 août 2015).

Ramadan Shallah, le secrétaire général du JIP, affirme qu'en cas de mort de l'un des grévistes de la faim, le JIP aurait violé la trêve et répondu par des tirs de roquettes sur Israël (Chaîne de télévision libanaise Al-Mayadeen, Youtube, 28 août 2015)
Ramadan Shallah, le secrétaire général du JIP, affirme qu'en cas de mort de l'un des grévistes de la faim, le JIP aurait violé la trêve et répondu par des tirs de roquettes sur Israël (Chaîne de télévision libanaise Al-Mayadeen, Youtube, 28 août 2015)

8. Le JIP a interprété l'affaire comme une "victoire" sur Israël, le forçant à faire des concessions en raison de la menace de tirs de roquettes. Le JIP a présenté l'évènement comme une "victoire" pour Muhammad Allan, la "volonté des Palestiniens", et la "voie de la résistance" [cf., la voie du terrorisme).

La grève de la faim de Khader Adnan

9. L'affaire Muhammad Allan est la seconde survenue en l'espace de deux mois au cours desquels le JIP a tenté d'imposer sa volonté à Israël concernant la libération de ses détenus administratifs. Le 22 juin 2015, les médias palestiniens ont annoncé que l'état du détenu administratif Khader Adnan s'était détérioré. Khader Adnan était un terroriste du JIP de la région de Jénine qui avait observé une grève de la faim pendant une cinquantaine de jours. Le JIP a déclaré dans un communiqué qu'Israël était pleinement responsable de sa vie. Les porte-parole du JIP ont menacé qu'en cas de décès de Khader Adnan, le JIP mettrait fin à l'accalmie dans la bande de Gaza :

a) Lors d'un rassemblement dans la bande de Gaza, Khaled al-Batash, haut responsable du JIP dans la bande de Gaza, a affirmé que si Khader Adnan mourrait dans une prison israélienne, le JIP violerait l'accalmie et l'ennemi israélien serait forcé [de faire face à] la riposte de l'organisation (Sama, 26 juin 2015).

b) Ahmed al-Awri, le porte-parole du JIP en Judée-Samarie, a affirmé qu'en cas de mort de Khader Adnan, l'accalmie dans la bande de Gaza serait annulée. Il a affirmé que la mort d'Adnan était "une ligne rouge" qui ne pouvait être franchie sans réagir (Agence de presse Ma'an, 22 juin 2015).

c) Après l'affaire Muhammad Allan, Ramadan Abdullah Shallah, le secrétaire général du JIP, a affirmé que "lorsque la vie de Khader Adnan était en danger, les Brigades de Jérusalem ont élevé le niveau d'alerte". Il a ajouté que "si Adnan ou Allan était mort, le JIP aurait riposté"  (Almayadeen, 28 août 2015).

10. En fin de compte, un arrangement a été conclu avec Israël qui a conduit à la libération de Khader Adnan, après une grève de la faim de 56 jours. Son avocat et sa femme ont indiqué que selon l'arrangement, il mettrait fin à sa grève de la faim et serait libéré le 12 juillet 2015. Des sources proches du JIP ont qualifié l'accord de "victoire" pour le prisonnier et de "reddition" d'Israël. Le chef de file du JIP Ramadan Shallah s'est entretenu au téléphone avec la famille et a salué la "victoire" (Page Facebook Qudsn, 28 juin 2015).

Droite : Distribution de confiseries d'une boîte portant la photo de Khader Adnan (Page Facebook PALDF, 29 juin 2015). Gauche : Les proches des prisonniers palestiniens à leur rassemblement hebdomadaire devant le siège de la Croix-Rouge dans la bande de Gaza marquent la "victoire" de Khader Adnan (Paltoday, 29 juin 2015)
Droite : Distribution de confiseries d'une boîte portant la photo de Khader Adnan (Page Facebook PALDF, 29 juin 2015). Gauche : Les proches des prisonniers palestiniens à leur rassemblement hebdomadaire devant le siège de la Croix-Rouge dans la bande de Gaza marquent la "victoire" de Khader Adnan (Paltoday, 29 juin 2015)

11. Le 12 juillet 2015, Israël a libéré Khader Adnan. Lors de sa libération, il a déclaré que son état de santé était bon. Il a affirmé que sa libération prouvait la faiblesse et la fragilité d'Israël. Il a appelé à utiliser sa grève de la faim pour tirer parti de la lutte du peuple palestinien en général et des prisonniers palestiniens en particulier (Agence de presse Ma'an, 14 juillet 2015).

Droite : Khader Adnan lors d'une réception organisée par des responsables du bureau palestinien de coordination et de liaison après sa libération par Israël (Agence de presse Ma'an, 12 juillet 2015). Gauche : Khader Adnan reçu par les résidents locaux d'Arabeh, son village natal, au Sud de Jénine (Page Facebook PALDF, 12 juillet 2015)
Droite : Khader Adnan lors d'une réception organisée par des responsables du bureau palestinien de coordination et de liaison après sa libération par Israël (Agence de presse Ma'an, 12 juillet 2015). Gauche : Khader Adnan reçu par les résidents locaux d'Arabeh, son village natal, au Sud de Jénine (Page Facebook PALDF, 12 juillet 2015)

12. Khader Adnan a immédiatement défié Israël. Le lendemain de sa libération, il a été arrêté par la police israélienne en se rendant prier au Mont du Temple, bien que l'entrée à Jérusalem lui ait été interdite. En outre, il a effectué plusieurs visites à Jérusalem-Est, y compris au domicile de Samer al-Issawi, membre du Front Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP), qui a également observé une longue grève de la faim qui a conduit à sa libération anticipée.[1]

La "méthode irlandaise" face à la "méthode palestinienne" : article de Nasser Laham, rédacteur en chef de l'agence de presse Ma'an

13. Après ce qui a été perçu les Palestiniens comme le "succès" de la grève de la faim de Muhammad Allan, Nasser Laham, le rédacteur en chef de l'agence de presse palestinienne populaire Ma'an a écrit un article intitulé "Les Palestiniens utilisent la méthode irlandaise contre l'occupation israélienne" (20 août 2015), examinant les leçons à tirer des grèves de la faim des prisonniers et des détenus palestiniens.

Dr Nasser Laham (Page Facebook de Nasser Laham, 3 septembre 2015)
Dr Nasser Laham (Page Facebook de Nasser Laham, 3 septembre 2015)

14. Les principaux points de l'article sont les suivants :

a) Les grèves de la faim des prisonniers politiques[2] revêtent deux formes : l'une d'elles est la "méthode irlandaise," selon laquelle un individu déclare une grève de la faim et persiste jusqu'à ce qu'il meurt, puis un autre prisonnier poursuit la lutte. L'autre est la "méthode palestinienne", en fonction de laquelle tous les prisonniers déclarent collectivement une grève de la faim et persistent jusqu'à ce que leurs demandes, ou certaines, soient acceptées.

b) Au cours des dernières années, plusieurs Palestiniens ont recouru à la "méthode irlandaise" [les noms de Samer al-Issawi, Khader Adnan et Muhammad Allan cités plus haut ont été mentionnés]. Il semblerait maintenant que la "méthode irlandaise soit de plus en plus répandue parmi les prisonniers palestiniens, en dépit de ses difficultés et des dangers qu'elle comporte, ce en raison des conditions difficiles dans lesquelles vivent les prisonniers et des nouvelles lois du Parlement israélien qui ont rendu [les grèves de la faim] nécessaires, et qui ne sont plus une question de choix."

c) Au cours des deux dernières années, le JIP, le FDLP et le FPLP ont élevé le niveau de la lutte à des sommets sans précédent. Beaucoup d'observateurs étaient sceptiques quant à l'utilisation des grèves de la faim individuelles (la "méthode irlandaise") et ont appelé à l'adhésion à "la voie de la lutte collective." Toutefois, une série de prisonniers, parmi lesquels Samer al-Issawi, Khader Adnan et Muhammad Allan "ont convaincu la société palestinienne de l'efficacité de leur choix".

d) A la fin de son article, Nasser a appelé à inciter d'autres secteurs palestiniens (étudiants, forces de sécurité, organisations de femmes, salariés, etc.) à "chercher un autre moyen plus rapide et plus efficace de lutter contre Israël", dans le but de "provoquer une crise pour l'occupation", comme en Afrique du Sud dans les années 1980.

15. Ma'an est une agence de presse palestinienne basée à Bethléem fondée en 2005, et est l'un des médias les plus populaires parmi les Palestiniens. Elle dispose de correspondants stationnés dans toute la Judée-Samarie et dans la bande de Gaza. Le rédacteur en chef de Ma'an est Nasser Laham, qui est né dans le camp de réfugiés de Dehaishe à Bethléem. Il possède une licence en psychologie de l'Université de Bethléem, une maîtrise en journalisme et communication de l'Université de La Haye et un doctorat en psychologie. Il parle arabe, anglais et hébreu, et est proche de responsables de l'Autorité Palestinienne et a dans le passé interviewé Mahmoud Abbas et l'a accompagné à l'étranger.

16. Le 1er septembre 2015, Khader Adnan a été invité dans les bureaux de Ma'an à Bethléem. Il a été reçu par Nasser Laham, qui a salué la "position ferme" et la lutte d'Adnan en prison. Adnan l'a remercié pour le soutien médiatique reçu de Ma'an (Agence de presse Ma'an, 1er septembre 2015).

Nasser Laham (à droite), le rédacteur en chef de Ma'an, et Muhammad Faraj (à gauche), le directeur de la chaîne de télévision Ma'an par satellite, accueillent le terroriste du JIP Khader Adnan (au centre) dans leurs bureaux à Bethléem (Agence de presse Ma'an, 1er septembre 2015)
Nasser Laham (à droite), le rédacteur en chef de Ma'an, et Muhammad Faraj (à gauche), le directeur de la chaîne de télévision Ma'an par satellite, accueillent le terroriste du JIP Khader Adnan (au centre) dans leurs bureaux à Bethléem (Agence de presse Ma'an, 1er septembre 2015)

17. L'article de Nasser Laham pourrait indiquer le début de l'apprentissage des leçons tirées des récentes grèves de la faim observées par les détenus administratifs du JIP. La principale leçon porte sur l'utilisation de ce qui est appelé la "méthode irlandaise," qui se concentre sur des grèves de la faim individuelles de prisonniers ou de détenus administratifs soigneusement choisis. Si la méthode est adoptée, selon toute probabilité, elle sera soutenue par la violence en Judée-Samarie et/ou par des menaces de représailles violentes de la part des organisations terroristes de la bande de Gaza, dans l'objectif de forcer Israël à se plier aux revendications des grévistes de la faim.

 

[1]Samer al-Issawi, 35 ans, membre du FDLP, a été condamné en 2000 pour son implication dans des attaques contre des Israéliens et condamné à 30 ans de prison. Il a été libéré dans le cadre de l'accord Shalit. Un an après sa libération, il a été arrêté et emprisonné pour avoir violé les conditions de sa libération. En Août 2012, un mois après qu'il a été emprisonné à nouveau, il a débuté une grève de la faim pour protester contre ses conditions d'emprisonnement. Sa grève de la faim a duré huit mois et il a été hospitalisé. Sa grève de la faim a fait de lui un symbole pour les Palestiniens et a provoqué des protestations en Judée-Samarie. En Israël, des craintes ont été soulevées que sa mort déclenche une vague d'émeutes. En Décembre 2013, un accord a été conclu en vertu duquel il a été libéré en échange de la fin de sa grève de la faim. En Juin 2015, il a été arrêté par Tsahal à Issawiya parce que, selon le parquet militaire,  il était revenu depuis sa libération à "une activité terroriste totale".
[2]Nasser Laham et les Palestiniens en général représentent habituellement les terroristes palestiniens  qui se trouventen prison ou en détention administrative comme des "prisonniers politiques".